fr
fr

Epidémie de Covid-19 : une illustration des oppositions entre éthique clinique et éthique santé publique

Les contradictions entre l’éthique de santé publique et l’éthique médicale sont apparues à de nombreuses reprises par le passé. Les débats autour de la vaccination obligatoire pour éradiquer l’épidémie de Covid-19 sont le dernier exemple en date. Le problème est simple en apparence : presque tous les États – dont l’État français – décident de mener une campagne de vaccination quasi obligatoire contre le virus de la Covid-19. Les raisons invoquées ? Protéger les personnes les plus fragiles, enrayer la propagation de la maladie et renforcer le système immunitaire de l’ensemble de la population.

Ces objectifs cadrent parfaitement avec le principe de « bienfaisance » de l’éthique médicale et avec la nécessité de protéger la santé publique. Cependant, des doutes subsistent concernant l’adéquation de cette campagne avec les notions de « liberté » et d’« autonomie » de l’individu. En France, plusieurs voix ont critiqué l’instauration du pass vaccinal, vu comme un moyen détourné d’imposer la vaccination anti-Covid à l’ensemble de la population.

Avec ce système, l’État français est accusé d’adopter une politique interventionniste et coercitive pour pousser les individus à modifier leurs comportements et leurs préférences en matière de soins. Les statistiques officielles contredisent ces accusations : même avec la mise en place du Pass vaccinal, le taux de vaccination Covid-19 au 1er janvier 2023 plafonne à 78,7 %, soit 53,4 millions de patients qui ont complété le schéma vaccinal initial. Autrement dit, un peu plus de 20 % de la population éligible au vaccin en France ont « choisi » de conserver leur autonomie décisionnelle sur la question.

Des soignants figurent parmi cette minorité qui n’a pas encore reçu d’injection contre la Covid-19. Ces personnels de santé ont été suspendus, officiellement pour « ne pas nuire à autrui ». Les praticiens réfractaires pourraient toutefois connaître un dénouement heureux, après un avis temporaire de la Haute Autorité de la Santé diffusé en février 2023. L’instance devrait publier un avis définitif dans les prochaines semaines.

À la recherche du juste milieu entre éthique de soins et éthique de santé publique

Les frictions entre l’éthique médicale et l’éthique en santé publique ne sont pas nouvelles. Elles risquent même d’apparaître plus souvent à l’avenir, en raison d’un risque épidémique toujours plus élevé. Cela suppose une augmentation en nombre et en complexité des enjeux et des problématiques qui doivent être analysés dans la démarche éthique en santé.

Le principal défi restera inchangé : comment promouvoir et protéger efficacement la santé publique, sans renier les valeurs fondamentales de l’éthique médicale ? Pour anticiper les accrochages futurs sur le sujet, le Comité consultatif national d’éthique a publié en mai 2021 un avis édifiant sur la façon dont l’État, les partenaires sociaux et les leaders politiques doivent conduire les réflexions sur la santé publique et le respect de l’éthique de soins.

Dans ce document, le CCNE identifie plusieurs obstacles à l’élaboration d’un cadre éthique pour la santé publique accepté par tous. Le manque de participation citoyenne, la faiblesse de l’écoute des attentes de chaque individu ou groupe d’individus et le déficit de coordination des institutions œuvrant en faveur de la santé publique sont pointés du doigt par le comité. Pour trouver un terrain d’entente entre la santé publique et l’éthique clinique, le CCNE propose de redéfinir les valeurs et les principes de l’éthique de santé publique à partir de quatre axes clés :

— la préparation et l’anticipation des situations de crises et d’urgence qui menacent la santé publique ;

— la simplification des institutions de participation, de concertation et de décision, afin d’améliorer l’information en santé et de favoriser les arbitrages économiques, sociaux, politiques et sanitaires ;

— la réorganisation du système de santé sur la base d’une éthique de santé publique qui privilégie les relations entre la santé et l’environnement, la santé au travail et l’équité de soins pour tous les individus

Le CCNE reconnaît la complexité du sujet, compte tenu des enjeux et des intérêts variés, parfois contradictoires, des parties impliquées. Ces difficultés ne doivent en aucun cas bloquer les discussions entre les citoyens, les organismes sociaux, les représentants politiques, les décideurs et les opérateurs économiques et financiers. Pour le comité, la réflexion doit :

— prendre en compte les spécificités de la santé individuelle et ses relations avec la santé publique ;

— Étudier les comportements sociaux et individuels ainsi que les dimensions mentale, psychique et informationnelle ;

— Analyser les bienfaits, les obstacles et les inconvénients des politiques sanitaires actuelles selon l’avis de la société, et non des professionnels de la santé, ni des décideurs politiques, ni de l’industrie pharmaceutique ;

— Établir les repères éthiques, sociaux et judiciaires pour résoudre les conflits entre l’éthique clinique et l’éthique de santé publique ;

— Mettre en place un ensemble de cadres permettant de concilier santé publique, participation citoyenne et éthique, à partir des dispositifs existants.

De l’avis du CCNE, la clé d’une santé publique consensuelle se trouve dans le respect des principes éthiques dans toutes les politiques de santé élaborées au bénéfice de la société. Sans cette condition, les professionnels de santé et la population pourront difficilement faire confiance à ces politiques de santé publique et au système de santé dans son ensemble. Le comité rappelle cependant que le choix d’une stratégie de santé publique, au-delà des considérations morales et éthiques, renferme toujours une dimension politique.

Sa mise en œuvre est limitée par les moyens économiques, humains, juridiques et financiers. S’attendre à une politique de santé publique qui fait l’unanimité relève de l’utopie. Néanmoins, la société peut toujours repousser les limites de la réflexion sur l’éthique de santé publique, afin de mieux considérer les exigences individuelles propres à l’éthique clinique.

Laissez un commentaire