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Principes fondamentaux de l’éthique de la santé publique

L’éthique de la santé publique renvoie aux fondements mêmes de la « santé publique », une notion qui revêt plusieurs significations. Certains voient la santé publique comme l’art et la science de prévenir les maladies, de promouvoir la santé et de prolonger la vie grâce aux efforts structurés de la société (Acheson, 1988). On peut aussi définir la santé publique comme l’ensemble des actions entreprises en tant que société, afin de garantir la santé de toutes les personnes qui vivent dans ladite société.

Toutes les définitions reconnaissent l’existence d’actions sociétales et collectives afin de protéger, rétablir ou promouvoir la santé de la population. Ces actions de santé publique mettent à contribution les croyances et les compétences des acteurs clés de la santé publique. Les politiques décident de l’orientation des actions à mettre en œuvre, en s’appuyant sur les recommandations des institutions et des services de santé. La santé publique remplit au moins cinq fonctions prioritaires :

–          La promotion de la santé

–          La surveillance de la santé

–          L’évaluation de la santé de la population

–          La prévention des blessures et maladies

–          La protection de la santé

La santé publique est cependant indissociable de la santé et du bien-être de chaque individu de la population. Or, ces deux types de notion de santé s’opposent sur certains aspects. D’un côté, la santé publique privilégie inévitablement les actions collectives et les solutions communautaires qui ne sont pas toujours approuvées à l’unanimité par les populations. D’un autre côté, la santé individuelle repose sur des valeurs fortes, comme la liberté et l’autonomie – des principes qui relèvent plus de l’éthique clinique. Il est donc crucial de déterminer clairement les pratiques éthiques ainsi que les implications éthiques, légales et sociales de la santé publique, pour mieux comprendre et traiter les nombreux défis auxquels elle fait face.

1.      Les valeurs fondamentales de l’éthique de santé publique

L’éthique de santé publique ou éthique professionnelle est intrinsèquement liée à la mission de santé publique, à savoir promouvoir la santé, protéger la santé publique et améliorer la santé de la population. Elle est dictée par les vertus et le caractère professionnel des soignants. Ces praticiens sont les principaux responsables en matière de codes et de normes d’éthique sur les actions de santé publique.

Ces codes varient selon les pays, en fonction de l’héritage culturel et historique, de l’organisation des systèmes de soins et du facteur médico social et économique. L’éthique de la santé publique invite à réfléchir sur l’objet de la loyauté des professionnels de santé. Doivent-ils servir en priorité les intérêts de la communauté ou des patients individuels ? Qui décide des limites éthiques, de ce qui est acceptable pour les actions menées dans le cadre d’une mission ou d’une politique de santé publique ? La communauté, principale bénéficiaire de ces décisions, a-t-elle son mot à dire ?

Ces interrogations font apparaître la complexité des implications éthiques, légales et sociales de la santé publique. L’éthique de santé publique doit ainsi respecter certaines valeurs fondamentales :

–          L’autonomie

Associée systématiquement à l’éthique clinique, l’autonomie se manifeste aussi dans toutes les démarches éthiques inhérentes à la santé publique. Elle apparaît au moins de quatre façons différentes : l’empowerment, ou l’autonomisation de la personne ; le respect des droits de l’individu dans les politiques de santé ; la responsabilisation de chaque personne et la participation des citoyens à l’élaboration des actions de santé publique.

Dans une logique d’inclusion et de respect des principes éthiques, les programmes de santé publique actuels cherchent à promouvoir des approches qui encouragent chaque citoyen à faire grandir son sentiment de compétence. Cette prise de conscience l’aide à affronter et à améliorer en permanence ses conditions de vie au quotidien. Ces programmes apparaissent sous différentes formes. Gouvernements et associations financent plusieurs initiatives visant à encourager le dépistage du cancer du sein ou à améliorer l’alimentation au quotidien. En France, par exemple, la campagne « 5 fruits et légumes par jour » vise clairement des objectifs de santé publique. Pourtant, elle n’empiète pas sur l’autonomie décisionnelle du citoyen. Au contraire, l’opération aide l’individu à se sentir en contrôle de sa vie et à prendre des décisions bénéfiques pour sa propre santé.

La responsabilisation des individus est aussi une des figures clés du principe d’autonomie en éthique de santé publique. L’état de santé d’une personne dépend en grande partie de son style de vie. En partant de ce principe, les politiques de santé publique planifient des opérations de sensibilisation pour faire évoluer les comportements face à un problème sanitaire précis. Face au risque de transmission du VIH-SIDA et des maladies sexuellement transmissibles, par exemple, Santé publique France mène régulièrement des campagnes visant à promouvoir l’utilisation de préservatif auprès des jeunes. Ces opérations font écho aux messages diffusés en milieu scolaire en marge des cours d’éducation sexuelle soutenus par le ministère de la Santé et le ministère de l’Éducation. Des campagnes similaires existent pour la prévention des maladies liées au surpoids et à l’obésité, la lutte contre le tabagisme et la prévention des addictions au cannabis et aux drogues dures.

La participation des citoyens à l’élaboration des politiques de santé publique prône la collaboration et l’interdépendance de la population. Sous cet angle de l’autonomie, les autorités perdent le monopole des décisions éthiques concernant la santé publique. Cette responsabilité revient à tous les acteurs sociaux impliqués dans les débats éthiques, y compris chaque citoyen. La charte d’Ottawa, votée en 1986 par l’Organisation mondiale de la santé, défend cette vision de l’autonomie en éthique de santé publique.

–          La justice sociale

Afin de réduire les inégalités de santé et garantir un accès égal aux soins, les politiques de santé publique s’inspirent des principes de la justice sociale. Cette notion est à mettre en relation avec le principe d’équité, un des quatre piliers de l’éthique médicale. Elle englobe des valeurs clés, comme l’égalité des chances, l’égalité des situations et l’égalité des droits. En matière de santé et de soins, la justice sociale oblige les décideurs à trouver une approche de santé publique qui n’est pas discriminante et qui favorise l’inclusion de toutes les couches de la population.

La justice sociale n’ignore pas chaque déterminant de la santé. Au contraire, elle pousse les autorités à mettre sur pied des services de santé et des services sociaux adaptés aux besoins de tous les individus qui forment une population.

–          La bienfaisance

Bien sûr, toute politique ou tout programme de santé publique applique le principe de bienfaisance propre à l’éthique de santé. Autrement dit, une stratégie nationale de santé publique doit au préalable prouver son efficacité et ses bienfaits sur la santé physique et mentale de la population. Les bénéfices réels de la politique de santé sont évalués par une haute autorité, de préférence indépendante, afin d’éviter tout conflit d’intérêt. L’évaluation des résultats s’inscrit dans une analyse qualitative et/ou quantitative d’un programme ou d’un ensemble d’actions d’une politique publique de santé.

Cette appréciation est loin d’être facile, connaissant les nombreuses difficultés et les variables à considérer. L’évaluation peut se focaliser sur des questions de nature pédagogique, scientifique, économique ou politique. Les résultats d’une évaluation dépendent aussi des techniques de recueil des informations et des disciplines impliquées dans le processus. L’analyse d’un programme de santé d’un point de vue épidémiologique conduit forcément à des conclusions différentes par rapport à une étude axée sur les aspects économiques ou sociologiques du même programme.

 

2.      Les défis et obstacles à l’égalité en santé publique

 

Malgré les efforts réels des autorités et de toutes les parties impliquées, les inégalités sociales en santé persistent. La situation tend même à se dégrader, en dépit de l’avancement des réflexions sur les implications éthiques, légales et sociales de la santé. Voici quelques chiffres édifiants sur le sujet :

–          En 2020, l’espérance de vie d’un homme résidant à Paris est de 80,2 ans, contre 72,3 ans à Mayotte, un département français de l’Océan Indien.

–          Entre 2012 et 2016, l’espérance de vie d’un homme appartenant à la tranche des 5 % de personnes les plus aisées est de 84,4 ans. Ce chiffre tombe à 71,7 ans pour un homme faisant partie des 5 % des personnes les plus vulnérables.

Ces statistiques écartent d’emblée la nature physique de l’individu comme facteurs contribuant aux inégalités de santé. Elles montrent au contraire le poids des déterminants sociaux de santé sur l’accessibilité, la qualité et l’usage des systèmes de soins. Ces déterminants peuvent être d’ordre structurel ou individuel. Ils englobent notamment le niveau d’études, les revenus, la position socio-économique, le genre et la race. D’autres déterminants intermédiaires, comme les conditions matérielles, les comportements et les facteurs de risque psychosociaux pèsent aussi sur l’égalité d’accès aux soins.

3.      La différence entre éthique de santé publique et éthique en santé publique

Afin de mieux cerner les débats sur les inégalités occasionnées par l’imperfection des politiques publiques de santé, il est crucial de faire la différence entre l’éthique de santé publique et l’éthique en santé publique. L’éthique professionnelle ou éthique de santé publique sous-tend l’ensemble des actions/programmes d’une politique de santé publique en général.

L’éthique en santé publique ou éthique appliquée définit les principes à appliquer dans une situation concrète, comme une crise sanitaire régionale ou une épidémie, par exemple. Cette forme d’éthique est propre à ladite situation. Elle permet de prendre des décisions « moralement appropriées » pour résoudre le problème en question. Les principes et références éthiques sont dès lors différents des repères éthiques pris en compte lors de l’élaboration d’une politique de santé publique globale.

Ainsi, les principes d’autonomie, de justice, de bienfaisance et de non-malfaisance sont souvent source de conflits en éthique appliquée. De par leur nature individualiste, ces principes limitent la liberté d’action publique et les perspectives de trouver des solutions communautaires face à un problème spécifique. Les défenseurs de l’éthique en santé publique prônent ainsi d’autres valeurs, comme la réciprocité, la justice sociale, l’autonomie relationnelle et la solidarité.

Lors de l’épidémie de Covid-19, les autorités ont invoqué les principes de solidarité pour justifier certaines mesures de la stratégie nationale de santé, comme le confinement, les restrictions de déplacement et l’obligation de vaccination.

Partie 3 – Les implications éthiques de la prise de décision en matière de soins

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