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Les enjeux éthiques de l’utilisation de la technologie dans la santé

L’utilisation massive des nouvelles technologies dans les soins encourage aussi la réflexion sur les implications éthiques, légales et sociales de la santé. Le sujet se révèle particulièrement captivant lorsqu’il est étudié sous le prisme des inégalités d’accès à ces technologies d’avant-garde.

La question mérite d’être analysée sérieusement, compte tenu du potentiel et des promesses de ces innovations sur la qualité des systèmes de santé et des services sociaux. En réalité, chaque découverte technologique ouvre une nouvelle fenêtre donnant sur d’innombrables applications en matière de santé au travail, pour promouvoir la prévention et même dans les pratiques professionnelles des soignants.

–          L’Intelligence artificielle

Largement adoptée dans l’industrie, le divertissement et le marketing, l’Intelligence artificielle fait aussi une incursion remarquée dans le domaine de la santé. Grâce à sa puissance de calcul et à ses algorithmes apprenants, l’IA acquiert rapidement de nouvelles capacités très intéressantes, d’un point de vue technique. Les scientifiques voient en l’IA un outil d’aide performant pour perfectionner l’examen des données de santé des patients, accélérer le développement de nouveaux médicaments ou améliorer la précision et l’efficacité des diagnostics médicaux.

Le Project InnerEye de Microsoft est une parfaite illustration des nouvelles capacités rendues possibles grâce à l’intelligence artificielle. Avec ce programme de santé intelligent, les cliniciens peuvent obtenir les résultats d’une radiothérapie 13 fois plus rapidement qu’avec une procédure « normale ».

–          Le big data et l’analyse prédictive

Dans un monde de plus en plus connecté, chaque citoyen produit de plus en plus de données numériques au quotidien. Ces informations, en majorité personnelles donc confidentielles, intéressent particulièrement les acteurs de la santé.

Plusieurs compagnies utilisent déjà ces renseignements pour offrir un accompagnement personnalisé au quotidien en matière de santé et prévention. Ces services sont accessibles gratuitement avec l’aide d’appareils portatifs de santé, des capteurs intégrés dans les vêtements ou des applications « santé » installées sur un smartphone ou une montre connectée.

Le Big Data élargit également les perspectives de veille et de suivi de la santé de la population, avec l’aide d’indicateurs de santé synthétisés à partir des données personnelles des patients.

–          La réalité virtuelle

Partout dans le monde, des chercheurs explorent les possibilités offertes par la réalité virtuelle pour soigner des troubles psychiques et certaines addictions. En Suisse, l’Hôpital de la Broye fait partie des pionniers dans ce domaine. Depuis 2021, l’établissement intègre la réalité virtuelle dans les programmes de réadaptation et de rééducation de son service de physiothérapie.

L’hôpital propose aux patients des exercices thérapeutiques en immersion totale avec l’outil KineQuantum. Des capteurs intégrés mesurent les amplitudes et les mouvements du patient durant chaque exercice, afin de produire un environnement le plus réaliste possible. Cette émulation par le jeu favorise les progrès des personnes malades, en les aidant à surpasser leurs peurs et leurs appréhensions.

–          Les soins virtuels et la télémédecine

Grâce au déploiement de réseaux plus rapides et plus puissants aux quatre coins du globe, les patients accèdent facilement à des services de soins personnalisés depuis n’importe quel endroit et à tout moment. Les consultations et les prescriptions médicales peuvent se faire à distance, par visioconférence. Le partage des données médicales entre professionnels de santé se fait en quelques clics. On assiste même à l’essor d’une nouvelle forme de chirurgie, qui combine l’expertise du chirurgien et les promesses de la connectivité 5G et de la robotique. Avec la téléchirurgie, un praticien peut opérer un patient, sans être présent physiquement dans la salle d’opération.

Les recherches sur la génomique, la nanotechnologie et l’internet des objets sont autant d’autres technologies prometteuses en matière de santé. Aussi intéressantes soient-elles, la question se pose toujours : comment garantir que la profession médicale puisse utiliser ces innovations, tout en respectant les principes fondamentaux de l’éthique ?

1.      Garantir l’équité malgré la fracture technologique

Il faut reconnaître que les obstacles à la démocratisation de ces innovations sont nombreux. Leurs coûts élevés et leur complexité excluent d’emblée les catégories sociales les moins éduquées ou en situation de précarité financière. Les disparités relatives à la géographie pénalisent également les habitants des zones rurales et des territoires à faible couverture mobile et/ou internet.

L’illectronisme représente un enjeu de société majeur en Suisse, où 1,5 million de personnes possèdent des compétences très limitées en matière numérique. Cette situation touche principalement les populations les plus précarisées. Cette fracture numérique constitue évidemment un facteur d’exclusion sociale et un obstacle majeur à l’utilisation de nouvelles technologies dans les services de santé.

Ce problème nécessite une concertation globale, entre les développeurs des technologies de santé, les distributeurs, les autorités (agence de la santé, élus, etc.) et les représentants des citoyens/patients. Ces états généraux doivent se tenir dans des espaces de réflexion propices aux échanges. L’idée est de trouver un terrain d’entente afin d’envisager une approche globale de la santé donnant la part belle aux innovations technologiques, sans pour autant négliger la place de l’humain au cœur du processus de soins. En plaçant l’aspect humain au centre des débats, les défis annexes liés au coût élevé des technologies, l’illectronisme et l’exclusion des plus défavorisés sont relativement faciles à résoudre.

2.      Les défis liés à la protection des données personnelles de santé

La protection de la vie privée figure en priorité parmi les implications éthiques, légales et sociales de la santé. Dans le domaine de santé, la divulgation d’informations sensibles sur un patient sur la place publique ou sur des espaces privés accessibles via un hyperlien est inconcevable. Pourtant, cette problématique persiste encore avec l’avènement des technologies dans la santé.

Les systèmes propulsés par Intelligence artificielle exploitent à grande échelle les informations personnelles de chaque utilisateur afin de fournir des services toujours plus individualisés. Les consultations en ligne, la télémédecine, les appareils de monitoring portatifs extraient quasi systématiquement des données de santé confidentielles pour leur bon fonctionnement.

Comment garantir que ces informations personnelles sont collectées exclusivement pour un usage lié à la santé ? Que faire en cas de fuite de données de santé privées dans le Cloud ? Jusqu’où les banques, assureurs, mutuelles et hôpitaux ont-ils accès à ces renseignements hypersensibles ? Ces interrogations ne sont qu’une partie des nombreuses implications pratiques de la confidentialité des data de santé et de respect de la vie privée.

3.      La responsabilité politique de l’État

Les pouvoirs publics jouent un rôle majeur dans la promotion de l’utilisation des technologies dans le domaine de la santé. Le législateur peut encourager la réflexion en faveur d’un meilleur encadrement de ces innovations. Il faut s’assurer de bien distinguer éthique et droit ou implication et causalité dans ces discussions. L’intervention du  législateur aboutit nécessairement à l’adoption de lois et de réglementations.

Les pouvoirs exécutifs ont aussi leur mot à dire et une grande responsabilité politique sur ce sujet, surtout en matière de financement et de surveillance. L’État est en droit de poser les limites juridiques et éthiques du développement technologie dans le secteur de la santé. Bien sûr, toute décision étatique de nature à impacter les populations nécessite l’approbation des citoyens, représentés par les députés et les autres responsables locaux ou régionaux.

I.       Le respect des droits des patients en télémédecine

La télémédecine fait partie des innovations technologiques qui ont d’énormes implications éthiques, légales et sociales sur la santé. Cette nouvelle approche des soins soulève nombre de questions liées à la relation entre le médecin et le patient ; la confidentialité des interventions de santé et le respect du consentement des patients.

1.      L’évolution de la relation médecin-patient

Traditionnellement, le médecin entretient une relation de proximité avec son patient. Les discussions, diagnostics et prescriptions médicales se font en direct. En tant que professionnel de santé, le médecin occupe parfois le rôle de confident, de soutien moral et émotif envers son interlocuteur. Le code d’éthique de la profession n’interdit pas ces liens privilégiés, tant qu’ils ne dépassent pas les limites de l’acceptable d’un point de vue déontologique, moral et professionnel.

Avec la télémédecine, cette relation privilégiée évolue. La technologie entraîne une forme de distanciation sociale, psychologique et émotionnelle entre le médecin et son patient. En contrepartie, elle apporte plus de flexibilité dans les échanges. Le soignant peut conseiller et accompagner ses patients partout, à tout moment et dans toutes les conditions. La relation est plus axée sur la santé, sans les dimensions psychosociales et émotionnelles des échanges traditionnels. Cette évolution affecte-t-elle la qualité des soins ? La question reste en suspense.

Toutefois, des chiffres donnent des indices concernant la qualité de la prise en charge en télémédecine. Les consultations en ligne durent en moyenne 7 minutes, soit deux fois moins qu’une consultation en présentiel. Cette temporalité s’explique par plusieurs facteurs, dont l’absence de temps d’habillage/déshabillage, l’absence d’examen clinique et les contraintes organisationnelles du médecin. Les patients apprennent ainsi à fournir des réponses plus concises aux questions du docteur.

Plus expéditives, les consultations à distance gagnent en efficacité, mais érodent progressivement la nature humaine du lien entre le médecin et son patient. Sans grande surprise, les principaux travaux éthiques actuels se concentrent sur l’humanisation de la télémédecine et des services de soins à l’ère du numérique.

 

2.      La confidentialité des interventions de santé

Plusieurs pays ont établi une règlementation claire afin de protéger la confidentialité des données en télémédecine. La Suisse choisit une autre approche, puisque les interventions de santé en télémédecine ne sont régies par aucun cadre légal spécifique. Par contre, les soignants sont toujours tenus d’honorer leurs devoirs en matière d’information et de secret médical. Concernant l’éthique de la sécurité et de la confidentialité des informations médicales, l’article 3 de la loi fédérale sur la protection des données se veut catégorique.

Les renseignements personnels de santé des patients rentrent dans la catégorie des données sensibles. À ce titre, les médecins suisses ont l’obligation de garantir la protection de ces datas lors d’une téléconsultation ou d’une téléexpertise. Cette assurance est normalement fournie par l’entreprise ou l’opérateur en charge du traitement des données sur les applications mobiles, les solutions Cloud et les logiciels utilisés en télémédecine.

Partie 10 – Intégrer l’équité et la justice sociale dans les politiques de santé

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